Coloris des vêtements : l’industrie textile recherche comment rendre nos couleurs plus vertes
Dans le sillage du travail d’ONG comme Fashion revolution ou encore de films documentaires comme River Blue (2016), l’industrie textile prend conscience qu’elle doit changer de pratiques concernant les couleurs de nos vêtements issues du pétrole. De multiples innovations voient le jour, certaines pourraient d’ici quelques années remplacer tous les produits chimiques pour une multiplicité de couleurs renouvelables.
Derrière les milliers de nuances de couleurs pour nos vêtements, l’impact écologique est très élevé : la plupart de nos habits sont encore teints avec des couleurs synthétiques dérivées du pétrole. Dans le monde, plus de 8000 produits chimiques différents sont fabriqués pour cette industrie textile, afin de traiter ou de colorer nos vêtements. Et selon la Banque mondiale, ces déchets toxiques sont responsables de 20% de la pollution des rivières par les industries. Face à cette source de pollution, les innovations sont en plein essor pour tenter de rendre les couleurs de nos vêtements plus "vertes".
Aux portes de Toulouse, Sandrine Banessy montre dans son champ des plantes anodines ressemblant à des salades sauvages. Anodines, pas tout à fait : l’Homme se sert de cette plante, l’Isatis tinctoria ou tout simplement "pastel", pour colorer ses vêtements depuis l’ère néolithique.
C’est en éditant un livre sur l’histoire du pastel et sa fabrication médiévale en Occitanie qu’elle a fondé avec son associé Terre de Pastel. Parmi les multiples applications trouvées à cette plante, Sandrine Banessy a souhaité adapter les techniques ancestrales de coloration textile aux exigences d’aujourd’hui.
Dans la manufacture, les pigments dans de grandes cuves colorent d’abord ses tissus en vert. "La cuve est verte comme les feuilles, elle sort jaune comme les fleurs, avant de passer au bleu au contact du vent d’autant, le vent emblématique d’ici", sourit-elle.
Il y a ce côté magique du fait main, mais Terre de Pastel s’est entouré de collaborations en laboratoire pour massifier le precédé, et le rendre stable.
Le résultat se constate dans la boutique, dans toutes les nuances de bleu des vêtements teints ou imprimés, ou du linge de maison.
"Le gros avantage de la teinture au pastel, c’est qu’il n’y a pas de mordant chimique avant, et pas de fixation chimique après la teinture. Aucun produit n’est rejeté dans les eaux de teinture. C’est une avancée incroyable par rapport au problème de pollution de la coloration chimique", explique-t-elle.
De même que le pastel, d’autres plantes colorent en rouge (la garance) ou en jaune (la gaude). Ces procédés de teintes naturelles permettent de produire dans des quantités limitées, parce que les plantes doivent pousser sur des terres agricoles par définition.
Mais c’est une philosophie à laquelle s’attachent ces créateurs de colorants bio : "Nous sommes pour une consommation durable, renchérit-elle. Quand on achète un châle en étamine de laine teint au pastel, on sait que dans dix ou vingt ans, on l’aura toujours. C’est ça qui nous importe, ce travail de respect et de la plante, et de la matière première qui va nous vêtir".
Olives, amandes, betteraves : le fabricant Archroma a créé une ligne de colorants (Earth Colors) à partir de déchets végétaux. À Barcelone, l’usine historique de colorants chimiques s’est mise à produire ces nouvelles teintes renouvelables. "Nous avons décidé d’utiliser une huile se trouvant dans les végétaux, concrètement de déchets végétaux de l’industrie alimentaire ou agricole, détaille Christophe Maestripieri, directeur Brand Studio chez Archroma. On récupère ces végétaux, on les réduit en poudre et on utilise cette poudre dans nos réacteurs de fabrication des matières colorantes."
Au total, il existe sept coloris avec des tons très terriens, et qui peuvent être mélangés entre eux. Les feuilles de palmier donnent des teintes bleu-gris ou vertes, des betteraves les couleurs rouge-orangé. Leur nombre est limité, mais ces couleurs ont trouvé leur marché de Primark à Esprit, en passant par des tissus pour Ikea.
La prochaine génération de colorants écologique est peut-être en train de naître à Paris, au laboratoire de chimie organique du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). La start-up Pili y élabore les premiers kilos d’un colorant réalisé à partir de biomasse et avec l’intervention de micro-organismes.
"C’est un peu comme de la bière : une fermentation liquide, explique Jérémie Blache son cofondateur. Sauf qu’au lieu de produire de l’alcool avec des levures, on va produire des molécules qui servent à faire des colorants. On extrait ces molécules de la fermentation, et ensuite on réalise quelques étapes de chimie verte pour arriver à la molécule finale, qui elle, va absorber la lumière et être un colorant ou un pigment."
L’avantage de ce procédé : toutes les couleurs peuvent être réalisées, et il est reproductible partout avec des technologies de base, comme la fermentation, connues de l’industrie depuis des décennies. "On pourra demain produire les millions de tonnes de colorants produits chaque année facilement, grâce à la fermentation, estime Jérémie Blache. Il n’y a pas de limite planétaire comme avec la culture de plantes."
Selon Christophe Maestripieri d’Archroma, le surcoût lié à aux teintures plus écologiques doit être résiduel dans le prix final des vêtements : "La couleur ne compte que pour 5 à 7% du prix".
Par ailleurs, la recherche sur ces colorants textile trouve bien d’autres applications, parmi lesquelles les peintures ou les encres. Ces briques technologiques doivent limiter le fort impact des couleurs chimiques sur la pollution de nos rivières dans le monde – particulièrement en Asie où les textiles sont massivement fabriqués.